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six semaines dans un phare.

Le vent s’était élevé et ma barque volait sur l’eau comme une mouette effrayée. Soudain le vent changea, et ne pouvant lutter avec lui, livré à son caprice, je m’aperçus bientôt qu’il m’emportait loin du rivage, à peine entrevu. Je passai la journée sans manger ni boire. J’étais aussi malade que désespéré. La nuit revint, et je ne découvrais aucune terre ; bien plus, je semblais fuir les côtes, que le vent me forçait à laisser derrière moi. Cette alternative d’espoir et de mécompte accabla mon esprit, et j’accusais Dieu de m’avoir abandonné à mon inexpérience et à ma faiblesse.

Cependant la nuit était aussi claire que le jour, mais cette clarté ne m’était d’aucun secours. Triste et fiévreux, je tenais d’une main faible le gouvernail, quand un bruit me fit tourner la tête. Un énorme poisson venait de tomber dans ma barque. Malheureusement, je n’avais ni feu pour le faire cuire, ni couteau pour lui enlever ses écailles. Je rejetai le poisson au fond du bateau et reprit avec désespoir mon poste au gouvernail. Quelques minutes après, je fus arraché à mes sombres réflexions par la vue de quelque chose de noir qui flottait à la surface de l’eau. C’était une tortue que je saisis et que j’envoyai rejoindre le poisson. Décidément, la Providence tranquillisait mon esprit, en m’ôtant la crainte de mourir de faim. Je remerciai le Ciel, et, après avoir attaché le gouvernail, je m’endormis avec plus de calme.

Le froid de l’eau qui se précipitait par-dessus le plat bord du bateau m’éveilla. Une minute de plus, je coulais à fond. Je sautai sur la voile, dont je défis le nœud, et ma barque se releva. Avec ma casquette je vidai toute l’eau qu’elle avait embarquée ; mais je sentais un orage qui s’approchait, et pour l’éviter je me servis de toute ma voile. La vitesse avec laquelle je marchais me faisait espérer que je pourrais bientôt aborder une de ces nombreuses îles qui peuplent la mer de Chine.