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six semaines dans un phare.

je pris mes jambes à mon cou, et je détalai sans tambour ni trompette. Où allais-je ? je n’en savais rien ; mais puisque j’étais dans une île, bien sûr qu’en marchant tout droit j’arriverais à la mer, et j’y arrivai. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant amarrée sur la grève, une barque que je reconnus pour être de construction française. Bien sûr que c’était le bon Dieu qui me l’envoyait ! Mais au moment où je levais la jambe pour y entrer, une main énorme s’abattit sur mon épaule, et derrière moi je vis, en tournant la tête, plusieurs ombres se lever et m’entourer en ricanant. J’étais plus mort que vif, et je me voyais déjà à la broche quand une voix s’écria en pur français :

— Petit gredin ! tu voulais encore t’échapper !

Mon cœur battit à m’étouffer ; mes jambes plièrent et je tombai à genoux suffoqué de joie. Oui, de joie ! songez donc ! une voix qui parlait français ! À coup sûr, je ne serais pas mangé. Et puis entendre l’accent de son pays quand on est au milieu des sauvages, dans une île qui n’est peut-être pas sur la carte !

Ma joie fut de courte durée, car j’eus bientôt reconnu celui qui me parlait et ceux qui m’entouraient ; c’étaient l’officier et les matelots du Suffren.

Voici tout simplement ce qui s’était passé :

Dès que le capitaine du Suffren eut appris ma disparition du bord, il donna des ordres au premier officier pour qu’il me fît rechercher dans toutes les directions : on lança les canots à ma poursuite, mais grâce à la nuit, grâce surtout à ma marche irrégulière, je dépistai les recherches. Le capitaine furieux fit mettre à la voile, et le lendemain aborda à la terre la plus proche, qui n’était autre qu’une île entourée de bancs de corail, et où les pêcheurs de ces parages venaient faire chaque année leur provision de tortues. Cette île était habitée par des sauvages aux mœurs paisibles, et qui, n’ayant qu’à se louer de leurs rapports avec les Européens, ne leur avaient jamais fait de mal, et