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six semaines dans un phare.

villages, et le procès-verbal de la mort des malheureux Français fut rédigé à la lueur de l’incendie.

Notre vengeance s’arrêta là. Depuis, cette baie s’appelle la baie des Meurtriers.

Cette histoire plut beaucoup à Paul ; du reste il saisissait toutes les occasions de chercher dans le récit de ses gardiens un fait d’armes glorieux pour la marine française. Là, il n’y avait pas gloire mais martyre, raison de plus pour que l’imagination du jeune homme en fût impressionnée.

Il se faisait tard, le père La Gloire remit au lendemain la suite de son récit qu’il termina ainsi :

— Dix ans de la vie de baleinier usent un homme jusqu’à la corde. Aussi, dès l’âge de trente ans, je quittai le métier, heureux d’en être sorti sain et sauf. J’avais des économies et je résolus de faire la pêche pour mon compte. Le rêve de toute ma vie a été d’être commerçant. Je n’ai pas réussi.

Je m’étais retiré à l’île Maurice. C’était encore la France, et ce n’était plus le Havre où j’avais juré de ne plus débarquer. J’y frétai une goëlette de 50 tonneaux avec seize hommes d’équipage, et je partis faire la chasse aux éléphants marins pour le compte d’un armateur anglais. C’était une excellente affaire pour moi. Deux ans devaient suffire pour me doubler mon capital. Ne sachant quel nom donner à mon vaisseau…

— Oh ! fit Clinfoc avec mépris, une goélette !……

— À ma goëlette alors, puisque ça vous blesse, je crus devoir l’appeler La Gloire. Mon équipage, composé de gens de toutes les nations, me donna le nom du bâtiment, et le capitaine La Gloire finit par devenir le père La Gloire, votre serviteur.

— Il a été votre collègue, dit Clinfoc au capitaine.

— Tais-toi ou je te renvoie, répliqua le père Vent-Debout.

— La traversée devant n’être que d’un mois, je n’avais que pour quarante jours de vivres. Or, à peine en mer, La Gloire