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six semaines dans un phare.

coups de fusil, ou à les prendre à l’hameçon. Je fis faire cent petits sacs de cuir dans lesquels on plaça autant de petits billets qui retraçaient la position de « La Gloire » et les fis attacher au cou des jeunes albatros pris au nid.

En attendant que mon procédé nous donnât des résultats, avec les débris de ma goëlette je proposai de construire une barque avec laquelle on pourrait aller à la rencontre de quelque vaisseau en vue. Nous n’eûmes pas le temps de l’achever, car nous fûmes sauvés par un baleinier américain. Il y avait dix-huit mois que nous étions sur cette île déserte !…

Voilà quelle fut ma première opération. Je rentrai à l’île Maurice, où je pris du service sur un bateau marchand qui allait aux Indes. J’y allais dans l’espoir d’y faire du commerce. Un naufrage épouvantable perdit le vaisseau dans le golfe du Bengale, et je fus recueilli par un vaisseau anglais qui transportait des condamnés en Australie. Je m’y liai avec des chercheurs d’or, et après quelques années d’un petit commerce, je pus fréter un bateau pêcheur.

Bref, monsieur Paul, je n’aurais plus à vous raconter que la vie peu accidentée d’un caboteur. Qu’il vous suffise de savoir qu’au bout de vingt ans, le mal du pays me prit plus fort que jamais. J’étais à mon aise, je réunis ma petite fortune et je revins en France.

Je n’y étais pas encore, comme vous allez le voir.

Le paquebot qui me ramenait en Europe était anglais ; il pouvait y avoir à bord trois cent cinquante passagers et quarante hommes d’équipage. On faisait voile pour Portsmouth. Le mauvais temps força le capitaine de jeter l’ancre en vue de Dongeners. La nuit était calme, les passagers couchés ; il ne restait sur le pont que les matelots de quart et le maître d’équipage, avec qui, en qualité d’ancien matelot, j’avais eu l’autorisation de rester. Nous allions descendre nous coucher, quand la vigie