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le père la gloire.

sur les deux il y en eut un qui coula immédiatement. Beaucoup s’étaient cramponnés à des balles de liége. Enfin, à la cime des vagues, on n’apercevait que des têtes pâles sur lesquelles l’incendie du navire jetait des reflets sanglants.

À côté de moi, le capitaine se cramponne à une bouée, appelant ses hommes au secours des naufragés. Excellent nageur, il en avait sauvé quelques-uns, et certes, il était sauvé lui-même, s’il n’avait pas essayé d’arracher à la mort une jeune femme. Celle-ci, en le voyant s’approcher, se cramponna à lui. Une lutte désespérée eut lieu à la suite de laquelle les infortunés disparurent. Je vis passer sur la carcasse d’une cage à poules un petit enfant que sa mère y avait sans doute déposé. L’enfant jouait en riant avec les vagues qui allaient l’engloutir. Le mât de misaine avait une grappe de femmes et d’enfants qui s’y tenaient avec la force de la peur. Le mât disparut.

Assez, n’est-ce pas, monsieur Paul ? Dieu vous préserve de ces accidents-là !

Que vous dirai-je encore ? Ce souvenir me fait mal. Je l’achèverai par reconnaissance pour les pêcheurs de Rochefort et de Royan, qui entendirent l’explosion et accoururent à notre secours, car nous étions à peine à trois lieues de la tour de Cordouan.

La première victime aperçue par les pêcheurs fut un homme cramponné à une balle de liége. La barque s’arrête pour le recueillir, mais il refuse en disant :

— Ne songez pas à moi, je sais nager et je rejoindrai facilement la terre. Allez en avant, bien d’autres malheureux ont besoin de votre secours !

— Le brave homme, s’écria Paul. S’est-il sauvé au moins ?

— Oh ! qui le sait ? chacun pour soi dans ces occasions-là. Ce qu’il y a de plus certain, c’est que sur soixante-seize personnes, on n’en a sauvé que la moitié à peine. Malheureusement j’étais de la bonne moitié.