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cartahut.

sortir de Sébastopol, nous en fûmes réduits à bloquer le port et à faire la chasse aux bâtiments de commerce russes, en attendant de nouveaux ordres. Mais le temps, qui avait été jusque-là convenable, se couvrit de brumes très-épaisses, et dès lors nos évolutions devinrent impossibles. C’est une nuit perpétuelle qui tient nos vaisseaux immobiles et enchaînés. On ne manœuvre qu’au son de la cloche et du clairon pour éviter les abordages, et le canon porte dans l’obscurité les ordres de nos commandants.

Cette croisière de brouillards devait être fatale à la frégate le Tiger, un des plus intrépides éclaireurs de la flotte anglaise. Égarée dans la brume, elle se mit à la côte à quatre milles au-dessus d’Odessa. Pendant que l’équipage tentait d’arracher son bâtiment aux récifs, une éclaircie fatale vint révéler sa présence aux Russes. Des pièces de campagne sont amenées sur la falaise, et font un feu plongeant sur les malheureux naufragés, qui, se voyant perdus, incendient le navire de leur propre main ; quand on apprit cette nouvelle à l’amiral anglais, il répondit :

— Le Tiger est perdu, soit ! mais il ne portera pas les couleurs russes !

Cette noble réponse fut le dernier honneur rendu à ce pauvre navire que la flamme avait dévoré. Les officiers avaient été tués avec huit hommes de l’équipage : le reste avait été fait prisonnier.

Enfin les brumes se dissipent, toutes les côtes sont explorées. Les flottes profitent d’un bon vent pour aller reprendre le mouillage de Baltchich, où nous trouvons l’escadre de l’Océan qui portait les deux armées de France et d’Angleterre, dont une partie était débarquée à Varna.

Ici se place un des plus tristes épisodes de la campagne. Je n’aurais pas voulu en parler, mais je ne peux passer sous silence ce terrible souvenir. Le choléra, qui déjà était violent à Varna