Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
cartahut.

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

porter, je ne l’évacuerai pas, s’écria le commandant Jehenne.

Et grâce à lui on ne perdit ni un homme ni un canon. Tout le matériel et tout l’équipage furent sauvés.

Dans la même tourmente la corvette à vapeur le Pluton se perdait aussi d’une manière plus terrible encore. Il avait résisté à la mer et se maintenait en bonne position grâce à sa machine. Un transport anglais démâté et ayant cassé sa chaîne arrive sur lui avec une rapidité formidable. Le commandant du Pluton s’éloigne par une habile manœuvre, — mais l’énorme trois-mâts anglais l’allonge par bâbord et, à mesure qu’il le dépassait, chaque lame lançait le Pluton sur lui en le laissant retomber sur son cuivre. Dans ces chocs divers, les vergues sont cassées, les porte-manteaux et leviers en fer de mise à l’eau des canots, le tambour de bâbord et l’arrière sont enfoncés. Tantôt suspendu sur l’abîme, tantôt lancé sur le coffre du bâtiment démâté, le malheureux navire peut enfin se dégager, mais le courant l’entraîne vers la côte où les vagues le rejettent tantôt sur un flanc, tantôt sur un autre. La corvette sans gouvernail et à bout de force se couche du côté du large pour ne plus se relever.

En ce moment une vive canonnade se fait entendre. C’est une sortie des Russes sur Eupatoria. Des escadrons de cosaques s’avancent. Le navire échoué peut rendre un dernier service. Son commandant fait faire branle-bas de combat ; et les marins brisés de fatigue s’apprêtent à obéir, pendant que l’eau gagne de plus en plus le navire, noie la soute aux poudres et balaye le gaillard d’arrière.

La sortie des Russes est repoussée par la garnison d’Eupatoria. Les matelots n’ont plus qu’à livrer bataille à la mer dont les flots s’emparent du navire. Les bordages étaient disjoints ; chaque lame en déferlant montait sur le pont jusqu’au bord opposé, mais l’équipage ne cède que pas à pas, un à un devant les vagues. Le commandant quitte son bord le dernier avec la