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la tour de cordouan.

entre autres avait le don de l’agacer. D’abord il était joli garçon, et Vent-Debout ne voulait pas qu’on fût joli garçon. C’est pour cela qu’il aimait Clinfoc. La discussion tourna en dispute, comme toujours : le capitaine avait tort, et le jeune officier, fort de son droit, de plus, continuellement taquiné par son chef, s’emporta au point de le frapper. Il dit bien que c’était pour se défendre, car Vent-Debout avait levé la main sur lui, mais le code de marine est inflexible. Un capitaine est roi à bord. Personne n’est au-dessus de lui, si ce n’est Dieu. La mort devait être son châtiment.

Vent-Debout fit mettre aux fers l’imprudent officier et assembla son équipage. Il ne voulait pas punir sans jugement. Peut-être aussi que dans le fond du cœur il se croyait trop coupable, pour être juge et bourreau.

Il posa la question, d’usage :

— Cet homme est-il coupable ?

Tous répondirent : Oui. Un seul dit : Non.

C’était Clinfoc.

L’officier ne fut pas passé par les armes. Vent-Debout se contenta de le débarquer à la première escale, et Clinfoc devint, depuis ce temps son matelot, son domestique, sa chose, son ami.

Mais quel ami !… ne trouvant jamais rien à sa guise, voulant obéir sans qu’on le commandât, donnant des conseils quand on ne lui demandait rien et ne répondant rien quand on voulait son avis, avec cela, bon, prévenant, bavard, brutal, emporté comme un lion, doux comme un enfant, paresseux ou travailleur à ses heures, et n’aimant rien que sa pipe allumée ou son maître en colère.

En disant qu’il ne l’avait jamais quitté, nous nous sommes un peu trop avancé, car Clinfoc une ou deux fois se brouilla avec son maître et disparut. Seulement, il se passa un fait très-curieux, c’est qu’une fois séparés, le maître et le matelot n’eurent