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six semaines dans un phare.

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ramasser les gamelles tombées. On veut bien être tué, mais il faut que les camarades mangent : et tous ces braves gens, narguant cette pluie de fer, arrivent à la tranchée, où, déposant leur précieux fardeau, ils se mettent de la partie, et font le coup de feu avec le fusil des morts ou des blessés. Que d’aventures de ce genre j’aurais à raconter, si je ne craignais pas de perdre le fil de mon récit !

Malgré ses sorties multipliées, l’ennemi était paralysé. Chacun sentait que la Russie ne pouvait plus tenir la lutte. Leur courageuse résistance n’avait été qu’à notre avantage ; Sébastopol après la bataille de l’Alma aurait peut-être pu être emporté par surprise. Qu’en serait-il résulté ? Ce n’aurait été pour la Russie qu’une flotte et une ville de moins, mais elle n’aurait pas épuisé ses forces dans d’inutiles efforts ; elle aurait sauvé du moins sa vieille armée. Aujourd’hui, grâce à notre expédition dans la mer d’Azof, Sébastopol était livré à lui-même, tandis que nous, nous recevions des renforts et vivions dans l’abondance.

Mutilée de toutes parts par nos projectiles, la ville était à toute extrémité. Les Russes se défendaient pour l’honneur du drapeau.

L’assaut, — nous ne le sûmes que le jour même ; par crainte des espions le secret le plus absolu en était gardé, — avait été fixé pour le 8 septembre. Deux jours avant, un feu général s’ouvrit dans toutes nos batteries et dura toute la journée : Sébastopol et ses défenses sont écrasées de projectiles qui sèment la mort et la destruction. Le lendemain le feu reprend avec les mêmes allures, tantôt lent, tantôt rapide, tantôt s’arrêtant tout à coup. Les Russes ont bien essayé de réparer les dégâts de la veille, mais les remparts sont mutilés sans trêve ni repos : il n’est pas un recoin, pas une embrasure, pas un ouvrage qui ne soit atteint par nos obus et nos boulets. Le surlendemain est le jour de l’assaut général.