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rabamor.

d’être un bon marin et de nous payer en bonne monnaie, — notre capitaine, dis-je, était un peu pirate lui-même et il ne se gênait pas pour s’emparer des bateaux chinois qu’il trouvait sur sa route.

Un matin — nous nous trouvions dans un groupe d’îles situé tout près de Bornéo, — nous aperçûmes à notre droite, sous le vent, une jonque chinoise chassée hors de son chemin ; elle glissait si légèrement sur l’eau qu’on eût dit une caisse de thé. Le fond de sa carène et les côtés du haut bord étaient peints de dragons verts ou jaunes. Les mâts — il y en avait six, — étaient en bambou, une double galerie ornée de la proue à la poupe haute comme un grand mât de hune portait six cents tonneaux. L’intérieur ressemblait à un bazar et fourmillait de magasins, de boutiques et de tentes, encombrées de monde. L’aspect général en était si étrange que le capitaine voulut l’examiner.

Tous les métiers étaient pratiqués sur ce bateau comme au milieu d’une ville, depuis la forge de fer jusqu’à la fabrication de la paille de riz, depuis la sculpture des éventails en ivoire jusqu’à la broderie d’or sur mousseline. Dans une cabine un Chinois au ventre arrondi se préparait à un grand festin. Devant un ardent brasier rôtissait un chien farci, à côté cuisaient un nid d’hirondelle et les nageoires d’un requin dans une gelée d’œufs, un immense bol était plein de punch dont un mousse activait le feu avec une cuiller. Un peu plus loin des Chinois jouaient aux dés et se disputaient sous l’œil d’un grand gaillard à lunettes qui riait en dessous et à côté d’un petit fumeur d’opium, qui n’avait pas l’air de se soucier beaucoup du jeu.

Le capitaine m’avait amené avec lui dans cette visite, nous avions caché nos armes et nous nous présentâmes pour affaires, soi-disant pour acheter de leurs produits ; mais tous étaient occupés de leur dîner, et personne ne parut faire attention à nous. Le plus gros — ce devait, être un chef ! — grogna une réponse in-