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six semaines dans un phare.

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de vous en parler, il me faut faire un récit d’une chasse au tigre à laquelle nous fûmes invités par le chef des Malais qui peuplaient la grande île à l’est et qui étaient nos amis. Ceux de l’ouest ne nous témoignaient qu’une amitié craintive, défiante, qui devait bientôt se changer en haine, vous verrez pourquoi. Donc, j’en viens à ma chasse aux tigres.

Il faut dire que les Malais n’attaquent le tigre qu’en cas de légitime défense ou pour protéger leurs propriétés. Comme les réparations de notre corvette marchaient à grands pas sous l’œil vigilant du capitaine, nous nous mîmes en route, quelques matelots, le Rouget un peu boiteux mais guéri et moi, avec un Malais pour guide et une vingtaine d’indigènes chargés de faire les battues. Nous montions des petits chevaux et les malais des éléphants qui devaient nous servir à porter les blessés en cas de malheur et à nous frayer un chemin dans les jungles. La route se fit lentement. Dans ces solitudes profondes, quoique le paysage fût toujours le même, à chaque pas on rencontrait des animaux inconnus et des oiseaux étrangers à nos souvenirs et à nos regards.

Nous approchâmes enfin du lieu de la chasse. L’air était chargé de miasmes si impurs que nous étions obligés de fumer sans cesse. Ceux qui conduisaient les éléphants assis sur leur cou portaient devant eux un pot de charbon de terre allumé et un grand sac de tabac. En examinant le voisinage, on trouva les traces de trois tigres dans les jungles. Notre petite troupe se divisa et on se porta à chaque sortie, pendant que les éléphants trépignant d’impatience se dirigeaient vers l’antre des tigres. Les chevaux avaient été laissés en arrière.

Au même instant un tigre monstrueux s’élança de notre côté. Nous fîmes feu tous ensemble. Cette première décharge n’eut pour effet que d’effrayer nos éléphants qui s’enfuirent. L’un d’eux tomba dans un puits caché sous une couche