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six semaines dans un phare.

C’est bien simple. Ils attachent une lanterne sur la tête d’une vache, et, après avoir entraîné l’animal vers la grève, ils le font marcher la nuit sur les rochers battus par la tempête, derrière lesquels leurs camarades guettent avec des gaffes, des crampons et des cordes. La lumière oscille, va de l’avant, va de l’arrière. Ça la fait ressembler à celle d’un fanal de navire balancé par la mer. Les marins tourmentés au large croient à cette lumière comme on croit à l’étoile de la Vierge. Et va te promener le navire !… Voilà pourquoi j’en veux aux Bretons !…

Et les bras tout entiers de Clinfoc disparurent dans ses poches profondes.

— Il est de fait, reprit le capitaine, qui eût été furieux que son matelot parlât seul, qu’autrefois dans certaines parties de l’Allemagne, on priait Dieu publiquement pour qu’il y ait beaucoup d’échouements sur les côtes. Il s’était glissé un abus assez singulier dans les temples protestants du Hanovre. On y faisait des prières publiques, surtout pendant les tempêtes, pour demander au Ciel que les marchandises ou autres effets des vaisseaux qui font naufrage dans l’océan Germanique, fussent jetés sur les côtes de ce pays plutôt qu’ailleurs, afin d’en pouvoir profiter. Le conseil chargé de la Régence en l’absence du roi Georges, son souverain, défendit sous de rigoureuses peines de continuer ces prières.

— Je l’ai lu aussi, répondit Paul ; il existe même sur les côtes de l’Angleterre toute une flottille de bateaux montés par des marins avides, rôdant sans cesse dans le voisinage des bancs pour épier les navires, les sauver de gré ou de force d’un péril parfois imaginaire, et rançonner ensuite les armateurs que la loi met à leur discrétion.

— Les braves gens ! dit Clinfoc, n’est-ce pas, Breton ?

— Leurs compatriotes les appellent naufrageurs. Jadis ils attendaient à la côte les épaves que la tempête y poussait ; main-