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six semaines dans un phare.

mais là il reçut un coup de vent à faire changer un îlot de place. Le navire était en grand danger. Tout le monde disait au capitaine :

— Capitaine, il faut relâcher. Nous sommes perdus si vous vous obstinez à rester à la mer. Nous mourrons infailliblement et il n’y a pas à bord d’aumônier pour nous absoudre.

Le capitaine riait de la peur de son équipage et de ses passagers. Il chantait, le scélérat, des chansons horribles à faire tomber cent fois le tonnerre sur sa mâture. Il fumait tranquillement sa pipe et buvait de la bière comme s’il avait été assis à une table d’un cabaret d’Anvers. Ses gens le tourmentaient pour relâcher, et tant plus ils priaient, tant plus il s’obstinait à rester sous toutes voiles dehors, car il n’avait pas seulement mis à la cape, ce qui faisait trembler tout le monde. Il eut des mâts de cassés, des voiles d’emportées, et, à chaque accident, il riait.

Donc le capitaine se moquait de la tempête, des avis des matelots, des pleurs des passagers. On voulait le forcer à laisser arriver dans une baie qui offrait un abri, mais il jeta à la mer celui qui était venu pour le menacer. Alors un nuage s’ouvrit et une grande figure descendit sur le gaillard d’arrière du bâtiment. On dit que cette figure, c’était le Père Éternel. Tout le monde eut peur. Le capitaine continua à fumer sa pipe. Il ne leva même pas son bonnet quand la figure lui adressa la parole :

— Capitaine, tu es un entêté !

— Et vous, un malhonnête, que le capitaine lui répondit, laissez-moi la paix, ou je vous brûle la cervelle.

Le grand vieux ne répliquait rien, il haussait les épaules. Alors le capitaine sauta sur un de ses pistolets, l’arma et ajusta la figure des nuages. Ah ! mes enfants, quel coup dur ! La balle, au lieu de blesser l’homme à la barbe blanche, perça la main du