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superstitions des marins.

bien dans son service a pour retraite le Voltigeur hollandais. Et il y a de l’ouvrage ! Là, point d’histoires, la faim, la soif, la fatigue, l’envie de dormir, tout le tremblement, quoi ! Avec ça que si on se plaint, si on ne marche pas droit, les officiers mariniers ont des fouets dont les mèches sont finies en lames de rasoirs qui vous coupent un homme en deux comme mon couteau, sans comparaison, couperait une demi-once de beurre. Dire ensuite que les matelots du Voltigeur hollandais ne feront pas longtemps ce métier-là, non ! Tout le temps de l’éternité seulement ! c’est-à dire vingt-cinq millions de millions d’années. Allez vous y frotter !…

— Ça, c’est l’Enfer, risposta le père La Gloire pour ne pas laisser refroidir l’intérêt, mais il y a aussi le Paradis. Le grand Chasse-Foudre ! En voilà un petit navire. Il ne met pas moins de sept ans à virer de bord ; quand il roule, ce qui n’arrive guère, vu la résistance que son avant oppose à la puissance de la mer, les baleines et les cachalots se trouvent à sec sur ses porte-haubans. Les clous de sa carène serviraient de pivot à la lune, sa drisse de pavillon fait honte au maître câble de notre plus fort trois-ponts. Il a fallu pour sa coque tout le fer des mines de Norwége. Les forges où se ferrèrent ses œuvrements eurent, pour souffler leur feu toutes les tempêtes mises en réserve à cet usage par le pôle arctique. Ses câbles sont gros comme le dôme de Notre-Dame de la Garde ; ils feraient une ceinture au globe, on pourrait même faire un nœud. Il n’a que des sabords pour artillerie. Il attend du bronze, tout ce qu’il y a de connu sur terre ne suffirait pas pour sa caronade. Ses bas mâts sont si hauts qu’un mousse qui monte à la hune pour porter la soupe aux gabiers a la barbe blanche avant d’y atteindre. Son cacatois de perruche est plus grand que l’Europe entière. Vingt-cinq mille hommes peuvent faire l’exercice sur la pomme de son grand mât auquel l’arc-en-ciel sert de flamme.