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six semaines dans un phare.

le golfe du Bengale dont la traversée n’est pas sans danger surtout au milieu de la mousson du sud-ouest. Moi, je l’avais exploré en tous sens. Quand on me proposa la place de second maître, j’acceptai ; mais, une fois sur le navire, j’en eus presque regret.

La Junon était dans un très-mauvais état. L’équipage, composé de cinquante hommes, comptait quarante Lascars et dix Européens. Hommes et bâtiment m’inspiraient peu de confiance. Je m’en ouvris au capitaine, qui pour toute réponse me montra sa femme, une créole de vingt ans qu’il emmenait dans son voyage avec une servante malaise.

— Ma foi, me dis-je, je serais mal venu, moi qui ne risque que ma peau, d’insister sur les dangers que court un bâtiment auquel son capitaine confie sa famille et sa fortune.

En effet, le chargement, tout en bois de teck, était la fortune du capitaine.

Malgré tout, je n’étais pas tranquille. Le navire était si vieux qu’il m’inquiétait. Aussi, dès les premiers jours, je mis un homme à fond de cale pour veiller si une voie d’eau ne se déclarerait pas. Bien m’en prit, car, deux jours après, ce que j’avais craint arrivait. L’eau entrait dans la cale et comme le lest était de sable, les pompes ne nous furent d’aucune utilité. Pour comble de malheur le vent fit une saute et tourna au sud-ouest, la mer grossit et fatigua énormément le navire.

Enfin, à force de persévérance, on put tarir la voie d’eau qui venait de la ligne de flottaison et la boucher comme l’on put, avec de l’étoupe et une toile goudronnée. Ce fut très-difficile, car nous n’avions ni charpentier ni outils. Le vent diminua. La mer calmit et nous continuâmes notre route vers Madras, l’équipage gaiement, moi toujours craintif.

Voyage et gaieté ne durèrent pas. Le 12 juin, à midi, comme il ventait grand frais, un matelot monta prévenir que la voie d’eau