Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
six semaines dans un phare.

ce navire. Monte allumer ta lampe, misérable, mais monte donc !

Et le cadavre se dressait devant lui, et la peur le reprenait, et ses yeux agrandis par la fièvre semblaient dévorer le vaisseau qui comptant sur la lumière du phare venait se heurter contre cette ancre de salut qui allait devenir son tombeau.

Cependant il brava l’horreur que lui inspirait le cadavre et monta, mais la lampe n’était pas arrangée. Il n’y avait pas d’huile. Il lui fallait une demi-heure pour réparer ce mal causé par sa négligence, et dans quelques minutes le navire serait sur l’écueil.

Le fanal arrivait rapidement. Il perdit tout sentiment. Quand le vaisseau ne fut plus qu’à une encablure du phare, il se roidit et poussa un cri de désespoir. Le bruit de la vague domina sa voix. Mais la lumière dévie, sans doute le timonier a vu l’écueil et change la position du gouvernail, trop tard ! Il entendit le heurtement des vergues contre les mâts et le claquement des voiles. Une d’elles, détachée de sa ralingue, disparut dans l’air, vint frapper le malheureux au visage et l’envelopper comme d’un linceul. Presque au même moment, la lumière disparut, un fracas se fit entendre, puis un instant de silence. Enfin les cris de l’équipage, le tintement de la cloche d’alarme, et ce fut tout. Hommes, navire, marchandises, tout s’était englouti dans les flots.

Le gardien lâcha l’appui de la fenêtre et tomba évanoui. Quand il s’éveilla, le jour venait de paraître. Il tâcha de se fortifier contre le souvenir de la nuit et crut que c’était un mauvais rêve. En effet, la mer était calme, et rien ne faisait présager qu’un vaisseau avait pu se perdre sur un récif protégé par un phare.

Mais la conscience se révolte quand le raisonnement lui impose silence. Le remords ne tarda pas à s’emparer du jeune homme, et une voix qui lui criait : Assassin ! meurtrier, le poursuivait.