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six semaines dans un phare.

tout. J’ai fait comme mousse les campagnes de l’empire. Il m’en est resté quelques souvenirs, qui ne se sont si bien gravés dans ma tête, que parce qu’étant sur les pontons de l’Angleterre, je n’avais pas d’autre distraction que de rêver au passé puisque l’avenir m’était défendu.

Ces souvenirs, monsieur Paul, je peux vous les raconter, si cela vous fait plaisir. C’est d’une autre époque, mais d’une de ces époques dont on aime à parler : elle est assez glorieuse pour cela. J’ai fini ma carrière avec elle, car, blessé dans un combat, à vingt ans, je n’ai été bon à rien depuis, et je dois m’estimer heureux d’être gardien d’un phare. Voilà quarante ans que je n’ai pas été à terre, et je vous assure que je ne m’en plains pas.

— Nous non plus, grand-papa, cria le père La Gloire.

— Vous ne pouvez, répondit Paul, me faire un plus grand plaisir que de me parler des guerres maritimes de l’empire.

— Ne vous emballez pas, monsieur Paul, reprit Chasse-Marée : Je n’en sais pas tant que vous avez l’air de le croire. Le marin est comme le soldat : il ne voit qu’un coin de la bataille.

— Oui, dit Paul, mais dans ces coins-là, il y a des traits d’héroïsme.

— Toujours, non ; souvent, oui. En voici quelques exemples :

— Nous étions en guerre avec l’Angleterre, comme vous le savez, et nous n’étions pas les plus forts malgré l’alliance des Espagnols. Pourtant nous leur avons fait payer plus d’une fois leurs victoires. Aussi loin que remontent mes premiers souvenirs, je me vois dans la rade de Manille, novice à bord du Brûle-Gueule. Mon vaisseau faisait partie d’une division franco-espagnole. La division se composait de deux vaisseaux et de deux frégates espagnoles. De notre côté nous n’avions que le Brûle-Gueule et la Preneuse, mais en revanche nous avions pour chef le capitaine L’Hermite.

— Ah ! ah ! fit le père Vent-Debout à qui ce nom était bien