Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/120

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― Olaf, répliqua la comtesse d’un ton de reproche, je vois que Paris vous a gâté ; j’avais raison de ne pas vouloir y venir. Qui m’eût dit que lorsque le noble comte Labinski retournerait dans ses terres, il ne saurait plus répondre aux félicitations de ses vassaux ? »

Le charmant visage de Prascovie prit une expression douloureuse ; pour la première fois la tristesse jeta son ombre sur ce front pur comme celui d’un ange ; ce singulier oubli la froissait au plus tendre de l’âme et lui paraissait presque une trahison.

Le reste du déjeuner se passa silencieusement : Prascovie boudait celui qu’elle prenait pour le comte. Octave était au supplice, car il craignait d’autres questions qu’il eût été forcé de laisser sans réponse.

La comtesse se leva et rentra dans ses appartements.

Octave, resté seul, jouait avec le manche d’un couteau qu’il avait envie de se planter au cœur, car sa position était intolérable : il avait compté sur une surprise, et maintenant il se trouvait engagé dans les méandres sans issue pour lui d’une existence qu’il ne connaissait pas : en prenant son corps au comte Olaf Labinski, il eût fallu lui dérober aussi ses notions antérieures, les langues qu’il possédait, ses souvenirs d’enfance, les mille détails intimes qui composent le moi d’un homme, les rapports liant son exis-