Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/220

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lence, Gelsomina releva la tête d’un air de triomphe, et dit : « Je lui ai joliment fait rentrer son regard dans la prunelle, à ce vilain monsieur, que saint Janvier confonde ; je suis sûre qu’il ne m’arrivera rien de fâcheux. »

Paul dormit mal et d’un sommeil agité ; il fut tourmenté par toutes sortes de rêves bizarres se rapportant aux idées qui avaient préoccupé sa veille : il se voyait entouré de figures grimaçantes et monstrueuses, exprimant la haine, la colère et la peur ; puis les figures s’évanouissaient ; les doigts longs, maigres, osseux, à phalanges noueuses, sortant de l’ombre et rougis d’une clarté infernale, le menaçaient en faisant des signes cabbalistiques ; les ongles de ces doigts, se recourbant en griffes de tigre, en serres de vautour, s’approchaient de plus en plus de son visage et semblaient chercher à lui vider l’orbite des yeux. Par un effort suprême, il parvint à écarter ces mains, voltigeant sur des ailes de chauve-souris ; mais aux mains crochues succédèrent des massacres de bœufs, de buffles et de cerfs, crânes blanchis animés d’une vie morte, qui l’assaillaient de leurs cornes et de leurs ramures et le forçaient à se jeter à la mer, où il se déchirait le corps sur une forêt de corail aux branches pointues ou bifurquées ; — une vague le rapportait à la côte, moulu, brisé, à demi mort ; et, comme le don Juan de lord Byron, il entrevoyait à travers son évanouissement une tête charmante qui