Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/242

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ou coupable ? Vous savez que mon âme est à vous depuis le jour où vous avez apporté à mon oncle la lettre de recommandation dans le parloir de Richmond. Je suis de la race de ces Anglaises tendres, romanesques et fières, qui prennent en une minute un amour qui dure toute la vie, — plus que la vie peut-être, — et qui sait aimer sait mourir. Plongez vos regards dans les miens, je le veux ; n’essayez pas de baisser la paupière, ne vous détournez pas, ou je penserai qu’un gentleman qui ne doit craindre que Dieu se laisse effrayer par de viles superstitions. Fixez sur moi cet œil que vous croyez si terrible et qui m’est si doux, car j’y vois votre amour, et jugez si vous me trouvez assez jolie encore pour me mener, quand nous serons mariés, promener à Hyde-Park en calèche découverte. »

Paul, éperdu, fixait sur Alicia un long regard plein de passion et d’enthousiasme. — Tout à coup la jeune fille pâlit ; une douleur lancinante lui traversa le cœur comme un fer de flèche : il sembla que quelque fibre se rompait dans sa poitrine, et elle porta vivement son mouchoir à ses lèvres. Une goutte rouge tacha la fine batiste, qu’Alicia replia d’un geste rapide.

« Oh ! merci, Paul ; vous m’avez rendue bien heureuse, car je croyais que vous ne m’aimiez plus ! »