Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/267

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La jeune fille, toujours un peu souffrante, était couchée sur un étroit canapé près de la fenêtre ; deux ou trois coussins du Maroc la soulevaient à demi ; la couverture vénitienne enveloppait chastement ses pieds ; arrangée ainsi, elle pouvait recevoir Paul sans enfreindre les lois de la pudeur anglaise.

Le livre commencé avait glissé à terre de la main distraite d’Alicia ; ses prunelles nageaient vaguement sous leurs longs cils et semblaient regarder au-delà du monde ; elle éprouvait cette lassitude presque voluptueuse qui suit les accès de fièvre, et toute son occupation était de mâcher les fleurs de l’oranger qu’elle ramassait sur sa couverture et dont le parfum amer lui plaisait. N’y a-t-il pas une Vénus mâchant des roses, du Schiavone ? Quel gracieux pendant un artiste moderne eût pu faire au tableau du vieux Vénitien en représentant Alicia mordillant des fleurs d’oranger !

Elle pensait à M. d’Aspremont et se demandait si vraiment elle vivrait assez pour être sa femme ; non qu’elle ajoutât foi à l’influence de la jettature, mais elle se sentait envahie malgré elle de pressentiments funèbres : la nuit même, elle avait fait un rêve dont l’impression ne s’était pas dissipée au réveil.

Dans son rêve, elle était couchée, mais éveillée, et dirigeait ses yeux vers la porte de sa chambre, pressentant que quelqu’un allait appa-