Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/289

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manquée et sinistre où la beauté se mêle à l’horreur, argile scellée au front d’un cachet fatal, masque convulsé d’une âme douce et tendre ! tu vas disparaître à jamais pour moi : vivant, je te plonge dans les ténèbres éternelles, et bientôt je t’aurai oublié comme le rêve d’une nuit d’orage. Tu auras beau dire, misérable corps, à ma volonté inflexible : « Hubert, Hubert, mes pauvres yeux ! » tu ne l’attendriras point. Allons, à l’œuvre, victime et bourreau ! » Et il s’éloigna de la cheminée pour s’asseoir sur le bord de son lit.

Il aviva de son souffle les charbons du réchaud posé sur un guéridon voisin, et saisit par le manche la lame d’où s’échappaient en pétillant de blanches étincelles.

À ce moment suprême, quelle que fût sa résolution, M. d’Aspremont sentit comme une défaillance : une sueur froide baigna ses tempes ; mais il domina bien vite cette hésitation purement physique et approcha de ses yeux le fer brûlant.

Une douleur aiguë, lancinante, intolérable, faillit lui arracher un cri ; il lui sembla que deux jets de plomb fondu lui pénétraient par les prunelles jusqu’au fond du crâne ; il laissa échapper le poignard, qui roula par terre et fit une marque brune sur le parquet.

Une ombre épaisse, opaque, auprès de laquelle la nuit la plus sombre est un jour splendide, l’encapuchonnait de son voile noir ; il tourna la