Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/394

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plus des trois quarts du monde, un jardin plus pittoresque et plus délicieux ; chacun eût agrandi sa propriété de la vue de celle de l’autre ; car l’homme ici-bas ne peut prendre des objets que l’apparence.

Telle qu’elle était cependant, un sage n’eût pas souhaité, pour terminer sa vie dans la contemplation de la nature et les amusements de la poésie, une retraite plus fraîche et plus propice.

Tou et Kouan avaient gagné à leur mésintelligence une muraille pour toute perspective, et s’étaient privés réciproquement de la vue des charmants pavillons ; mais ils se consolaient par l’idée d’avoir fait tort chacun à son voisin.

Cet état de choses régnait déjà depuis quelques années : les orties et les mauvaises herbes avaient envahi les sentiers qui conduisaient d’une maison à l’autre. Les branches d’arbustes épineux s’entre-croisaient, comme si elles eussent voulu intercepter toute communication ; on eût dit que les plantes comprenaient les dissensions qui divisaient les deux anciens amis, et y prenaient part en tâchant de les séparer encore davantage.

Pendant ce temps, les femmes de Tou et de Kouan avaient chacune donné le jour à un enfant. Mme Tou était mère d’une charmante fille, et Mme Kouan, d’un garçon le plus joli du monde. Cet heureux événement, qui avait mis la joie dans les deux maisons, était ignoré de part et