Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/413

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« Tisserand, lui dit-elle, voici du fil bien égal, très fin et sans nœuds : l’araignée n’en file pas de plus délié entre les solives du plafond ; que votre navette aille et vienne ; de ce fil il me faut faire une aune de toile aussi douce que de la toile de Frise et de Hollande. »

Le tisserand prit l’écheveau, disposa la chaîne, et la navette affairée, tirant le fil après elle, se mit à courir çà et là.

Le peigne raffermissait la trame, et la toile s’avançait sur le métier sans inégalité, sans rupture, aussi fine que la chemise d’une archiduchesse ou le linge dont le prêtre essuie le calice à l’autel.

Quand le fil fut tout employé, le tisserand rendit la toile à la pauvre mère et lui dit, car il avait tout compris à l’air fixement désespéré de la malheureuse :

« Le fils de l’Empereur, qui est mort, l’année dernière, en nourrice, n’est pas enveloppé dans son petit cercueil d’ébène, à clous d’argent, d’une toile plus moelleuse et plus fine. »

Ayant plié la toile, la mère tira de son doigt amaigri un mince anneau d’or tout usé par le frottement :

« Bon tisserand, dit-elle, prenez cet anneau, mon anneau de mariage, le seul or que j’aie jamais possédé. »

Le brave homme de tisserand ne voulait pas le prendre ; mais elle lui dit :