Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/459

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« Vous avez donc fait repeindre votre plafond en bleu ? dis-je à Karr, qui, toujours impassible et silencieux, avait embouché une autre pipe et rendait plus de fumée qu’un tuyau de poêle en hiver, ou qu’un bateau à vapeur dans une saison quelconque.

— Nullement, mon fils, répondit-il en mettant son nez hors du nuage ; mais vous m’avez furieusement la mine de vous être à vous-même peint l’estomac en rouge, au moyen d’un bordeaux plus ou moins laffitte.

— Hélas ! que ne dites-vous la vérité ; mais je n’ai bu qu’un misérable verre d’eau sucrée, où toutes les fourmis de la terre étaient venues se désaltérer : une école de natation d’insectes.

— Le plafond s’ennuyait apparemment d’être noir, il s’est mis en bleu ; après les femmes, je ne connais rien de plus capricieux que les plafonds : c’est une fantaisie de plafond, voilà tout, rien n’est plus ordinaire. »

Cela dit, Karr rentra son nez dans le nuage de fumée, avec la mine satisfaite de quelqu’un qui a donné une explication limpide et lumineuse.

Cependant je n’étais qu’à moitié convaincu, et j’avais de la peine à croire les plafonds aussi fantastiques que cela, et je continuais à regarder celui que j’avais au-dessus de ma tête, non sans quelque sentiment d’inquiétude.

Il bleuissait, il bleuissait comme la mer à