Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/482

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quements d’escarpins, des voix qui chuchotaient, susurraient, blésaient et zézayaient, des éclats de rire étouffés, des bruits de pieds de fauteuil et de table. On tracassait les porcelaines, on ouvrait et l’on refermait les portes ; il se passait quelque chose d’inaccoutumé.

Un personnage énigmatique m’apparut soudainement.

Par où était-il entré ? je l’ignore ; pourtant sa vue ne me causa aucune frayeur : il avait un nez en bec d’oiseau, des yeux verts entourés de trois cercles bruns, qu’il essuyait fréquemment avec immense mouchoir ; une haute cravate blanche empesée, dans le nœud de laquelle était passée une carte visite où se lisaient écrits ces mots : Daucus-Carota, du Pot d’or, étranglait son col mince et faisait déborder la peau de ses joues en plis rougeâtres ; un habit noir à basques carrées, d’où pendaient des grappes de breloques, emprisonnait son corps bombé en poitrine de chapon. Quant à ses jambes, je dois avouer qu’elles étaient faites d’une racine de mandragore, bifurquée, noire, rugueuse, pleine de nœuds et de verrues, qui paraissait avoir été arrachée de frais, car des parcelles de terre adhéraient encore aux filaments. Ces jambes frétillaient et se tortillaient avec une activité extraordinaire, et, quand le petit torse qu’elles soutenaient fut tout à fait vis-à-vis de moi, l’étrange personnage éclata en sanglots, et, s’es-