Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/86

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matérielles, palpables, des témoignages impossibles à récuser. Une métamorphose complète s’était opérée en lui à son insu ; un magicien, à coup sûr, un démon peut-être, lui avait volé sa forme, sa noblesse, son nom, toute sa personnalité, en ne lui laissant que son âme sans moyens de la manifester.

Les histoires fantastiques de Pierre Schlemil et de la Nuit de Saint-Sylvestre lui revinrent en mémoire ; mais les personnages de La Motte-Fouqué et d’Hoffmann n’avaient perdu, l’un que son ombre, l’autre que son reflet ; et si cette privation bizarre d’une projection que tout le monde possède inspirait des soupçons inquiétants, personne du moins ne leur niait qu’ils ne fussent eux-mêmes.

Sa position, à lui, était bien autrement désastreuse, il ne pouvait réclamer son titre de comte Labinski avec la forme dans laquelle il se trouvait emprisonné. Il passerait aux yeux de tout le monde pour un impudent imposteur, ou tout au moins pour un fou. Sa femme même le méconnaîtrait affublé de cette apparence mensongère. ― Comment prouver son identité ? Certes, il y avait mille circonstances intimes, mille détails mystérieux inconnus de toute autre personne, qui, rappelés à Prascovie, lui feraient reconnaître l’âme de son mari sous ce déguisement ; mais que vaudrait cette conviction isolée, au cas où il l’obtiendrait, contre l’unani-