Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/10

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quant fût un personnage très vénéré parmi la bande, car George, gourmand à la manière d’Apicius, n’aurait pas attendu deux princes un quart d’heure.

Musidora, la plus piquante des quatre déesses, poussa un délicieux soupir, semblable au roucoulement d’une colombe malade, qui voulait dire : « Je vais passer une nuit funèbre et m’ennuyer horriblement ; cette fête débute mal, et ces jeunes gens ont l’air de croque-morts.

― Que Dieu me foudroie ! fit George en brisant dans ses doigts un verre de Venise de la plus grande richesse, épanoui comme une clochette sur son pied tourné en vrille et traversé de spirales laiteuses. La clochette rompue répandit sur la nappe, au lieu de rosée, quelques larmes d’un vieux vin du Rhin plus précieuses que des perles d’Orient. ― Une heure, et ce damné de Fortunio qui ne vient pas ! »

La belle enfant se trouvait assise à côté du siège vacant destiné à Fortunio, ce qui l’isolait complètement de ce côté.

On avait réservé cette place à Fortunio, comme, une place d’honneur, car Musidora appartenait au plus haut rang de l’aristocratie de beauté ; et assurément, pour être reine, il ne lui manquait qu’un sceptre ; elle l’aurait peut-être obtenu dans un siècle de poésie, dans ce temps fabuleux où les rois épousaient des bergères. Il n’est pas sûr d’ailleurs que Musidora