Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/108

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Jacinthe délaçait ses cothurnes et dégrafait sa robe, elle se mit à pleurer amèrement.

C’étaient les premières larmes qui eussent jamais trempé cet œil étincelant, au regard clair et froid, aigu et tranchant comme un poignard.

Sa mère était morte, elle n’avait point pleuré ; il est vrai que sa mère l’avait vendue, à l’âge de treize ans, à un vieux lord anglais, et qu’elle la battait pour lui faire donner son argent : ― menus détails qui avaient un peu modéré chez Musidora les élans de la tendresse filiale.

Elle avait vu, sans témoigner la moindre émotion, passer sur une civière le corps ensanglanté du jeune Willis, qui s’était fait sauter la cervelle de désespoir, ne pouvant suffire à ses prodigalités.

Elle pleurait de ne pas avoir rencontré Fortunio.

Les glaces de son cœur, plus froid et plus stérile qu’un hiver de Sibérie, se fondaient enfin au souffle tiède de l’amour et se révoltaient en une douce pluie de larmes. Ces larmes étaient le baptême de sa vie nouvelle. Il est des natures de diamant qui en ont l’éclat sans chaleur et l’invincible dureté ; ― rien ne mord sur elles ; ― aucun feu ne peut les fondre, nul acide ne peut les dissoudre : elles résistent à tous les frottements et déchirent de leurs angles à brusques arêtes les âmes faibles et tendres qu’elles rencontrent sur leur chemin. Le monde les accuse