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le sang abandonna et reprit trois ou quatre fois ses joues, sa main mourante laissa échapper le billet, qu’elle tenait serré avec une étreinte presque convulsive.

Elle touchait au moment suprême de sa vie ; ― son existence allait se décider.

Bientôt la nuée de poussière, s’entr’ouvrant comme une nuée classique receleuses de quelque divinité, permit de voir distinctement un cheval noir à tous crins, le col arqué, les épaules étroites, les pieds duvetés, l’œil et les naseaux pleins de feu, qui ressemblait plutôt à un hippogriffe qu’à un quadrupède ordinaire. Le cheval était monté par un cavalier qui n’était autre que le jeune Fortunio lui-même. ― À quelques pas galopait le Maure lippu.

C’était bien lui : il avait cet air de nonchalante sécurité qui ne le quittait jamais et qui lui donnait tant d’ascendant sur tout le monde. Il semblait qu’aucune des adversités humaines n’eût prise sur lui et qu’il se sentît au-dessus des atteintes du sort. La sérénité siégeait sur sa belle figure comme un piédestal de marbre.

Il s’avança vers la calèche en faisant exécuter à son cheval des courbettes prodigieuses ; tantôt il l’enlevait des quatre pieds à la fois, tantôt il le faisait tenir debout et avancer ainsi de quelques pas.

Le noble animal se prêtait à toutes ses exigences avec une coquetterie et une souplesse