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leur possession est le plus excellent antidote contre l’amour. ― Il faut pour cela une grande modestie, modestie du reste plus commune qu’on ne pense : la pudeur des femmes n’est autre chose que la crainte de n’être pas trouvées assez belles. C’est ce qui fait que les belles filles se donnent plus facilement que les laides. Il n’y a pas de résistance plus furieuse que celle d’une femme qui a le genou mal tourné.

Musidora n’avait pas cette idée humble et modeste que le don de sa personne dût éteindre l’amour ; elle se livra tout entière et sur-le-champ à Fortunio, non pour contenter ses désirs, mais pour lui en inspirer ; elle se donnait à lui pour qu’il eût envie de l’avoir : c’est un calcul habile et qui réussit plus souvent qu’on ne pense. Chez les belles et fortes natures, l’amour c’est la reconnaissance du plaisir.

Aussi Musidora a-t-elle attaqué le cœur de Fortunio par la volupté, excellente manière d’entrer en campagne. ― D’ailleurs, à quoi bon attendre ? Avec un homme aussi fugitif que le Fortunio, ce serait une chose chanceuse.

Profitons donc du moment où nos deux principaux personnages oublient l’existence du monde, pour dire quelque chose de notre héros, car le devoir de tout écrivain est de débrouiller devant son lecteur l’écheveau qu’il a emmêlé à plaisir et de dissiper les nuages mystérieux qu’il a assemblés lui-même, dès le commencement de