Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/235

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long des maisons, suivies quelquefois d’un petit garçon portant leur chien. — Tiburce hâtait le pas pour découvrir leurs figures enfouies sous les ombres du capuchon, et trouvait des têtes maigres et pâles à lèvres serrées, avec des yeux cerclés de bistre, des mentons prudents, des nez fins et circonspects, de vraies physionomies de dévotes romaines ou de duègnes espagnoles ; son œillade ardente se brisait contre des regards morts, des regards de poisson cuit.

De carrefour en carrefour, de rue en rue, Tiburce finit par aboutir sur le quai de l’Escaut par la porte du Port. Ce spectacle magnifique lui arracha un cri de surprise : une quantité innombrable de mâts, d’agrès et de vergues simulait sur le fleuve une forêt dépouillée de feuilles et réduite au simple squelette. Les guibres et les antennes s’appuyaient familièrement sur le parapet du quai comme des chevaux qui reposent leur tête sur le col de leur voisin d’attelage ; il y avait là des orques hollandaises à croupe rebondie avec leurs voiles rouges, des bricks américains effilés et noirs avec leurs cordages menus comme des fils de soie ; des koffs norvégiens couleur de saumon, exhalant un pénétrant arome de sapin raboté ; des chalands, des chasse-marée, des sauniers bretons, des charbonniers anglais, des vaisseaux de toutes les parties du monde. — Une odeur indéfinissable de hareng saur, de tabac, de suif rance,