Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/434

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quelque roi de l’Asie Mineure, quelque grand seigneur persan, quelque riche propriétaire athénien, elle faisait fondre l’or qu’elle en avait reçu et allongeait sa précieuse chaîne.

Cette chaîne doit servir à la faire vivre quand elle sera devenue vieille et que les amants, effrayés d’une ride naissante, d’un cheveu blanc mêlé dans une noire tresse, iront porter leurs vœux et leurs sesterces chez quelque hétaire moins célèbre, mais plus jeune et plus fraîche. Prévoyante fourmi, Bacchide, à travers sa folle vie de courtisane, tout en chantant comme les rauques cigales, pense que l’hiver doit venir et se ramasse des grains d’or pour la mauvaise saison. Elle sait bien que les amants, qui récitent aujourd’hui des vers hexamètres et pentamètres devant son portique, la feraient jeter dehors et pelauder à grand renfort de coups de fourche par leurs esclaves si, vieillie et courbée par la misère, elle allait supplier leur seuil et embrasser le coin de leur autel domestique. Mais avec sa chaîne, dont elle détachera tous les ans un certain nombre d’anneaux, elle vivra libre, obscure et paisible dans quelque bourg ignoré, et s’éteindra doucement, en laissant de quoi payer d’honorables funérailles et fonder quelque chapelle à Vénus protectrice. — Telles étaient les sages précautions que Bacchide l’hétaire avait cru devoir prendre contre la misère future et le dénûment des dernières années ; car une