Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/504

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nait effleurer d’un baiser le front de Meïamoun, puis elle recommençait son manège et voltigeait autour de lui, tantôt se cambrant en arrière, la tête renversée, l’œil demi-clos, les bras pâmés et morts, les cheveux débouclés et pendants comme une bacchante du mont Ménale agitée par son dieu ; tantôt leste, vive, rieuse, papillonnante, infatigable et plus capricieuse en ses méandres que l’abeille qui butine. L’amour du cœur, la volupté des sens, la passion ardente, la jeunesse inépuisable et fraîche, la promesse du bonheur prochain, elle exprimait tout.

Les pudiques étoiles ne regardaient plus, leurs chastes prunelles d’or n’auraient pu supporter un tel spectacle ; le ciel même s’était effacé, et un dôme de vapeur enflammée couvrait la salle.

Cléopâtre revint s’asseoir près de Meïamoun. La nuit s’avançait, la dernière des heures noires allait s’envoler ; une lueur bleuâtre entra d’un pied déconcerté dans ce tumulte de lumières rouges, comme un rayon de lune qui tombe dans une fournaise ; les arcades supérieures s’azurèrent doucement, le jour paraissait.

Meïamoun prit le vase de corne que lui tendit un esclave éthiopien à physionomie sinistre, et qui contenait un poison tellement violent qu’il eût fait éclater tout autre vase. Après avoir jeté sa vie à sa maîtresse dans un dernier regard, il porta à ses lèvres la coupe funeste où la liqueur empoisonnée bouillonnait et sifflait.