Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/78

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comme l’iris du prisme ; c’était réellement un très beau spectacle, et un coloriste n’eût pas dédaigné d’étudier ces jeux de lumière et ces reflets étincelants, mais M. V*** ne faisait nullement attention à l’or, à l’argent et à la pourpre dont le frétillement des poissons teignait tour à tour la prison diaphane qui les enfermait.

« Césarine, dit-il avec l’air le plus sérieux et le plus solennel du monde, le gros rouge est trop vorace, il avale tout et empêche les autres de profiter ; il faudra le mettre dans un bocal à part. »

C’était à ces graves occupations que M. V***, professeur de chinois et de mantchou, passait régulièrement trois heures par jour, soigneusement enfermé dans son cabinet, comme s’il eût commenté les préceptes de la sagesse du célèbre Kong-fou-Tsée ou le Traité de l’éducation des vers à soie.

« Il s’agit bien des poissons rouges et de leurs querelles, dit Césarine d’un ton sec ; il y a dans le salon deux dames qui veulent vous parler.

― À moi, deux dames, Césarine ? s’écria le savant alarmé, en portant une main à sa perruque et l’autre à son haut-de-chausses, qui, trop négligemment attaché, laissait apercevoir la chemise entre la ceinture et le gilet comme par un crevé à l’espagnole ; — deux dames jolies, jeunes ? Je ne suis guère présentable. ― Césarine, donne-moi ma robe de chambre. ―