Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/92

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torité sur toutes les matières d’élégance. Il lui plairait demain de prendre un amant provincial avec des gants de fil d’Écosse et des souliers lacés, que demain les souliers lacés du provincial seraient réputés bottes vernies et que beaucoup de gens iraient s’en commander de pareils. » Je l’entends d’ici, et je suis sûre que je ne me trompe pas d’un mot. Et Alfred, cet autre imbécile toujours pris dans sa cravate, et dont les manches retiennent les bras, quelle plate plaisanterie aura-t-il décochée sur moi du haut de son niais sourire ? Et de Marcilly, et tous ? Je voudrais les écraser sous mes pieds et leur cracher mon mépris à la figure ; car ce sont eux qui m’ont fait ce que je suis. Peut-être ont-ils prévenu Fortunio de cette stupide gageure ; si au moins tes chevaux gris pommelé avaient l’esprit de prendre le mors aux dents et de te casser le cou dans un fossé, damné George ! — Mais je m’irrite contre George bien inutilement ; est-ce que Fortunio aurait eu besoin de ses indiscrétions pour deviner qui je suis et voir toute ma vie d’un regard ? Pardieu, George a raison, je suis une délicieuse, une incomparable fille. ― Non, dit-elle après un silence, je suis une honnête femme. — J’aime. »

Elle se leva, baisa la lettre de Fortunio, la serra sur son cœur et fit défendre sa porte à tout le monde.