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Roland, de cet illustre capitaine de Charlemagne, de ce Guillaume qui a donné naissance à l’une de nos trois grandes gestes, de ce duc d’Aquitaine qui en 793 sauva la France des Sarrasins, de ce vaincu de Villedaigne dont la popularité peut se comparer à celle du vaincu de Roncevaux[1].

Un biographe de Guillaume (il vivait au XIe siècle) nous apprend que son héros était l’objet de mille chants populaires : « Quels sont les chœurs de jeunes gens, quelles sont les assemblées des peuples, quelles sont surtout les réunions des chevaliers et des nobles, quelles sont les veilles religieuses qui ne fassent doucement retentir, qui ne chantent son histoire en cadence, modulatis vocibus[2] ? »

De ce texte si important on peut tirer deux conclusions.

La première, c’est qu’il ne s’agit point ici de chants épiques. Une épopée, en effet, n’a jamais été chantée en chœur par toute une nation. Elle est bien trop longue et bien trop compliquée. Et tous les termes du biographe de Guillaume ne conviennent réellement qu’à des chants courts, vifs, populaires, mélodiques, moitié narratifs et moitié lyriques, tels que nous en posséderons plus tard un si grand nombre.

Notre seconde conclusion sera peut-être aussi rigoureuse.

Si Guillaume a donné lieu à des chants populaires, il n’a pu en être autrement de notre Roland, dont la gloire était, à tout le moins, aussi considérable.

  1. Guillaume avait été nommé par Charles en 790 duc de Septimanie, de Toulouse ou d’Aquitaine. En 793, Hescham, successeur d’Abd-al-Raman II, proclama l’Algihad ou guerre sainte, et cent mille Sarrasins envahirent la France. Guillaume alla au-devant d’eux, les rencontra près de la rivière de l’Orbieux, à Villedaigne, leur livra bataille, fut vaincu malgré des prodiges de valeur, mais força par cette résistance les Sarrasins à repasser en Espagne. Ce même Guillaume se retira en 806 au monastère de Gellone, qu’il avait fondé, et y mourut en odeur de sainteté le 28 mai 812. — V. l'excellente Dissertation de M. Révillout sur la Vita sancti Willelmi.

  2. Le texte latin mérite d’être cité : « Quæ enim regna, quæ provinciæ, quæ gentes, quæ urbes Willelmi ducis potentiam non loquuntur, virtotem animi, corporis vires, gloriosos belli studio et frequentia triumphos ? Qui chori juvenum, qui conventus populorum, præcipue militum ac nobilium virorum, quæ vigiliæ sanctorum dolce non resonant et modulatis vocibus decantant qualis et. quantus fuerit ; quam gloriose sub Carolo glorioso militavit ; quam fortiter quamque victoriose barbaros domuit… ; quanta ab iis pertulit, quanta intulit ac demum de cunctis regni Francorum finibus crebro victos et refugas perturbavit et expulit » (Acta Sanctorum maii, VI, 811.)