Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Qu’il a laissés rouges de sang et morts, à Roncevaux.
Il ne peut se retenir d’en pleurer, d’en sangloter.
Il prie Dieu de se faire le sauveur de ces âmes.
Mais le Roi est fatigué : car ses peines sont bien grandes.
2520II n’en peut plus ’et, lui aussi, finit par s’endormir.
Par tous les prés on ne voit que Français endormis.
Pas un cheval n’est de force à se tenir debout
Et celui qui veut de l’herbe la prend sans se lever.
Ah ! il a beaucoup appris, celui qui’connut-la douleur.Aoi.

CCXV

2525Comme un homme travaillé par la douleur, Charles s’est endormi.
Alors Dieu lui envoie saint Gabriel,
Auquel il confie la garde de l’Empereur.
L’Ange passe toute la nuit au chevet du roi,
Et, dans un songe, lui annonce
2530Une grande bataille qui sera livrée aux Français...
Puis il lui a montré le sens très grave de cette vision.-
Charles donc, Jetant un regard là-haut, dans le ciel,
Y vit les tonnerres, les’ gelées, les vents,
Les orages, les effroyables tempêtes,
2535Les feux et les flammes toutes prêtes :
Et, soudain, tout cela tombe sur son armée.
Voici qu’elles prennent feu, les lances de pommier ou de frêne ;
Voici qu’ils s’embrasent, les écus aux boucles d’or pur ;
Quant au bois des. épieux tranchants, il est en pièces.
2540Les hauberts et les beaumes-d’acier grincent.
Quelle douleur pour les-chevaliers de Charles !
Des ours, des léopards se jettent sur eux pour les dévorer,
Avec des guivres, des serpents, des dragons, des monstres semblables aux-diables,
Et plus de trente mille.griffons.
2545Tous, tous se précipitent sur les Français :
« À l’aide, Charles, à l’aide ! » s’écrient-ils.
Le roi en a grande douleur et pitié ;
Il y voudrait aller ; mais voici l’obstacle :
Du fond d’une forêt un grand lion s’élance sur lui.