Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/34

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rable au sein de la société laïque, le jour où il y eut beaucoup de chevaliers et de bourgeois qui surent vraiment lire, le jour où ils en vinrent à vouloir posséder et collectionner des manuscrits, tout changea. Il fallut désormais s’adresser au regard des lecteurs, et non plus à l’oreille des auditeurs. De là la nécessité absolue de remanier les anciens poëmes ; de là ces rifacimenti auxquels nous allons tout à l’heure consacrer un de nos chapitres.

À l’époque où fut composé le Roland, la versification peut se résumer en quelques règles qui sont des plus sages et des plus simples :


Le Roland, comme nos plus anciens poëmes, est écrit en décasyllabes. ═ Ces décasyllabes ont une pause intérieure après leur quatrième syllabe sonore. ═ À la fin du premier comme du second hémistiche, les voyelles muettes ne comptent point : Damne Deu Peré, nen laiser hunir France. ═ Sont assimilés à l’e muet, les e non accentués qui sont suivis d’une s, d’un t, d’un nt : Li empereres est par matin levet. — Iço vus mandet reis Marsilies li ber. — Il nen est dreit que païens te baillisent. ═ La seule lettre qui, en thèse générale, s’élide, est l’e muet (ou l’e suivi de t et de s). Il convient d’ajouter que cette élision elle-même est laissée à la liberté du poète, qui élide ou n'élide pas. ═ Ces vers, ainsi rhythmés, sont distribués en un certain nombre de couplets, tirades ou laisses. Toute laisse forme une division naturelle du récit. ═ Le couplet se compose, en moyenne, dans le Roland, de douze à quinze vers. Il sera plus développé dans les poëmes postérieurs. ═ Le lien qui unit tous les vers dans un même couplet, c’est l’assonance : plus tard, ce sera la rime. Dans le Roland, les couplets ne sont donc pas mono-rimés, mais mono-assonancés. ═ Suivant que leurs vers se terminent ou non par un e muet, les laisses sont féminines ou masculines. Ces dernières sont les plus nombreuses.

Nous avons traité ailleurs[1] les autres questions qui se rapportent à la rythmique du Roland.


X. – Le Style


Que notre poète ait été dominé par le souci du style, par la préoccupation littéraire, c’est ce que nous ne croirons jamais, malgré tous les efforts de M. Génin pour nous en convaincre. L’auteur du Roland écrivait en toute simplicité, comme il pensait, et ne songeait pas à l’effet. Rien n’est plus spontané

  1. V., dans l’édition classique, le Traité élémentaire de versification ou de Rythmique qui accompagne notre Grammaire.