Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

A cause de celle de Charlemagne, dont il a entendu parler.
La sienne s’appelle « Précieuse, »
Et ce mot même lui sert de cri d’armes dans la bataille :
Il fait pousser ce cri par tous ses chevaliers.
À son cou il pend un large et vaste écu :
La boucle est d’or, et le bord en est garni de pierres précieuses ;
La guige est couverte d’un beau satin à rosaces.
Puis Baligant saisit son épieu, qu’il appelle « Malté»,
Dont le bois est gros comme une massue
Et dont le fer, à lui seul, ferait la charge d’un mulet.
Baligant monte ensuite sur son destrier ;
Marcule d’outre-mer lui tient l’étrier.
L’Émir a l’enfourchure énorme,
Les flancs minces, les côtés larges,
La poitrine forte, le corps moulé et beau,
Les épaules vastes et le regard très clair,
Le visage fier et les cheveux bouclés ;
Il paraît aussi blanc que fleur d’été.
Quant au courage, il en a donné mille preuves.
Dieu ! s’il était chrétien, quel baron !
Il pique son cheval, et le sang sort tout clair des flancs de la bête ;
Il fait un temps de galop, et saute par-dessus un fossé
Qui peut mesurer cinquante pieds :
« Celui-là, » s’écrient les païens, « saura défendre ses Marches.
« Le Français qui voudra jouter avec lui,
« Bon gré, mal gré, y laissera sa vie.
« Charles est fou de ne pas lui avoir cédé la place ! »Aoi.

CCLIX

L’Emir a tout l’air d’un vrai baron.
Sa barbe est aussi blanche qu’une fleur ;
C’est, parmi les païens, un homme sage
Et qui, dans la bataille, est terrible et fier.
Son fils Malprime est aussi très chevaleresque ;
Il est grand, il est fort, il tient de ses ancêtres :
« En avant, Sire, » dit-il à son père, « en avant !
« Je me demande si nous’ allons voir Charles.
« — Oui, » répond Baligant : « car c’est un vaillant.