Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/73

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110Ils sont assis sur des tapis blancs,
Et, pour se divertir, jouent aux tables ;
Les plus sages, les plus vieux jouent aux échecs,
Et les bacheliers légers à l’escrime...
Sous un pin, près d’un églantier,
115Est un fauteuil d’or massif :
C’est là qu’est assis le roi qui tient douce France.
Sa barbe est blanche et son chef tout fleuri ;
Son corps est beau, et fière est sa contenance.
A celui qui le veut voir il n’est pas besoin de le montrer.
120Les messagers païens descendent de leurs mules
Et saluent Charles en tout bien, tout amour.Aoi.


IX


Blancandrin, le premier, prend la parole,
Et dit au Roi : « Salut au nom de Dieu,
« Du Glorieux que vous devez adorer !
125« Voici ce que vous mande le roi Marsile, le vaillant :
« Après s’être bien enquis de votre loi, qui est la loi du salut,
« Il veut largement partager ses trésors avec vous.
« Vous aurez des lions, des ours, des lévriers enchaînés,
« Sept cent chameaux, mille autours après la mue,

ment composer une théodicée d’après les seuls testes de nos Chansons de geste. La spiritualité de Dieu est, de tous ses attributs, celui que nos poètes ont mis le plus volontiers en lumière, et l’épithète qu’ils accolent le plus souvent’ au mot " Dieu » est celle-ci : « Dieu qui est un pur esprit, Dex l’espirital. » C’était là une protestation contre la pluralité des anciens dieux et contre leur matérialité grossière. = Dans la Chanson de Roland et dans la plupart de nos autres poèmes, Dieu est encore qualifié de glorieux, et par ce mot il faut à la fois entendre la suprême béatitude, la suprême puissance, la suprême invisibilité. = On peut rapprocher de cette expression les suivantes, qui sont à peu près synonymes : « Le Dieu de majesté, le Roi du monde, le Dieu du paradis,

le Roi très grand qui est au-dessus de nous. » = Les autres attributs de Dieu ne sont pas, d’ailleurs, exprimés avec moins de clarté. Le Dieu de nos épopées est tout-puissant. Il est éternel, et à tout instant nos poètes s’écrient : Cil Damedex qui fut, est et qui iert. Mais le titre que les trouvères se plaisent surtout à lui décerner, c’est celui de oc créateur » : Par Deu le creator. — Par Deu qui tout forma.— Qui fist pluie et gelée. — Qui fist la rose en mai. — Qui nos fist à s’image, etc. etc. Rien n’était en réalité plus utile que de telles épithètes si souvent répétées, puisque le dogme de la création avait été méconnu de toute l’antiquité païenne. Et tel est le point de vue pratique et élevé auquel on doit surtout considérer nos anciens poèmes.