Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/74

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du ciel ; ce doit être un trône, une domination, une principauté tout au moins. L’Enfant Jésus, ramassé sur lui-même, dans une pose pleine de savants raccourcis, est une merveille de rondeur et de modelé. La Vierge a ce charmant type lombard où, sous la candeur pudique, perce cet enjouement malicieux que le Vinci excelle à rendre. La couleur de cette magistrale peinture a noirci surtout dans les ombres, mais n’a rien perdu de son harmonie, et peut-être même serait-elle moins idéalement poétique, si elle avait gardé sa fraîcheur primitive et les tons naturels de la vie. On a élevé des doutes sur ce tableau. Des critiques ont voulu n’y voir qu’une composition de Léonard exécutée par une main étrangère, ou même simplement la copie d’une autre toile semblable peinte pour la chapelle de la Conception à l’église des Franciscains de Milan. Mais nul autre que le Vinci n’a pu dessiner ces contours si fermes et si purs, conduire ce modelé aux dégradations savantes qui donne aux corps la rondeur de la sculpture avec tout le moelleux de l’épiderme, et rendre ses types favoris d’une façon si sûre et si délicate.
Le Saint Jean est une peinture énigmatique où il est bien difficile de reconnaître l’ascète farouche qui, les reins ceints d’une peau de bête, vivait au désert et s’y nourrissait de sauterelles. Cette figure sortant d’une ombre profonde et montrant du doigt le ciel, tandis que de l’autre main elle tient une croix de roseau, n’est certainement pas celle d’un homme. Le bras replié sur le corps cache, il est vrai, la poitrine, mais il est bien rond, bien délicat,