Aller au contenu

Page:Gautier - L’Orient, tome 1, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
L’ORIENT.

tes et sombres, avec un dallage qui n’a jamais été refait. Des vieux linges et des matelas sèchent aux fenêtres ; quelque figure hâve et fiévreuse se penche pour vous regarder passer. Nul métier bruyant, nulle animation ; quelque rare piéton glisse silencieusement sur les dalles polies. Hors Saint-Marc, tout est mort ; c’est le cadavre d’une ville et rien de plus, et je ne sais pas pourquoi les faiseurs de libretti et de barcarolles s’obstinent à nous parler de Venise comme d’une ville joyeuse et folle. La chaste épouse de la mer est bien la ville la plus ennuyeuse du monde, ses tableaux et ses palais une fois vus.

Les gondoles, dont ils font tant de belles descriptions, sont des espèces de fiacres d’eau qui ne valent guère mieux que ceux de terre.

C’est un cercueil flottant, peint en noir, avec une dunette fermée au milieu, un morceau de fer hérissé de cinq à six pointes à la proue et qui ne ressemble pas mal aux chevilles d’un manche de violon. Un seul homme fait marcher cette embarcation avec une