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L’INDE.

qui ne connaît pas la fatigue, activité de la matière qu’on peut pousser à toute outrance sans manquer aux saintes lois de la pitié, car la matière s’use et ne souffre pas. Les bobines tournaient comme des danseuses ivres, disparaissant dans l’éblouissement de leur rapidité. Les pistons levaient et laissaient retomber leurs moignons avec un han plaintif, comme des bûcherons fendant un tronc de chêne ; les poulies folles faisaient claquer leurs lanières de cuir et de gutta-percha ; les roues crénelées se mordaient à belles dents, les laminoirs se frôlaient en sifflant, les soupapes clappaient de la langue, les ressorts faisaient jouer leurs nerfs et leurs détentes ; tous ces esclaves métalliques et plutoniens inventés par le génie de l’homme travaillaient à qui mieux mieux sur notre passage. Ces machines nous criaient avec leurs grincements, leurs coups sourds, leurs sifflements aigus : « Moi, je fais la besogne de six mille fuseaux ; moi, je remplace cinq cents marteaux de forgeron ; moi, je trame le châle des Indes plus également qu’un ou-