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L’ORIENT.

Accompagné à distance de l’Aréthuse, le Mœris venait de gagner la haute mer ; le dîner, qui réunissait des savants, des peintres, des journalistes, des médecins, des ingénieurs, des hommes du monde, une vraie élite d’intelligences, avait été d’autant plus joyeux que le temps était beau et que l’influence marine ne se faisait pas sentir encore.

Sur le pont, les étincelles des cigares brillaient comme des vers luisants, et quelques étoiles s’allumaient au ciel rembruni. Les fanaux du navire venaient d’être hissés, et, avant que l’ombre nous enveloppât tout à fait, la malencontreuse idée de descendre dans l’entre-pont afin de reconnaître notre cabine et de nous aménager pour la nuit nous fit quitter le groupe d’amis avec lesquels nous paradoxions, appuyés sur le bordage, en regardant l’eau filer. Mais, dès les premières marches de l’escalier, le pied nous manqua, et, nous relevant avec peine, tout étourdi de la chute, nous sentîmes que nous avions le bras gauche cassé près de l’épaule. — Notre pressentiment était réalisé : nous