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L’ORIENT.

mamelle le lait de la fécondité. Il s’enfonce jusqu’à mi-corps dans cette vase fertile, il la fouille, il la remue, l’arrose, la dessèche, selon qu’il est besoin, y trace des canaux, y lève des chaussées, y puise le pisé dont il bâtit sa demeure éphémère, et dont il cimentera son tombeau. Jamais fils respectueux n’eut plus de soin de sa vieille mère ; il ne s’en sépare pas comme ces enfants vagabonds qui délaissent le toit natal pour aller chercher les aventures ; toujours il reste là, attentif au moindre besoin de l’antique aïeule, la terre noire de Kémé. Si elle a soif, il lui donne à boire ; si trop d’humidité la gêne, il la dérive ; pour ne pas la blesser, il la travaille presque sans outils, avec ses mains ; sa charrue ne fait qu’effleurer la peau tellurique, recouverte chaque année d’un nouvel épiderme par l’inondation. À le voir aller et venir sur ce sol détrempé, on sent qu’il est dans son élément. Avec son vêtement bleu, qui ressemble à une robe de pontife, il préside à l’hymen de la Terre et de l’Eau. Il unit les deux principes qui, échauffés par le