Page:Gautier - L’Orient, tome 2, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
L’ORIENT.

à Polybe et à Végèce, la poésie à la science, l’effet pittoresque à l’exactitude stratégique : il fait manœuvrer les masses avec une aisance de grand capitaine et, difficulté que n’eurent pas les plus illustres généraux, il doit conduire à la fois deux armées, seul joueur de cette double partie où il gagne la victoire et poursuit la déroute. Comme il dispose les phalanges et les syntagmes, comme il étend les ailes, comme il tient en réserve les éléphants à son centre de bataille, comme il laisse s’engager l’ennemi par les vides ouverts exprès dans les lignes qui se referment sur lui et l’enveloppent, le rabattant sur les carrés hérissés de piques ! Quelle effrayante peinture que celle de ces éléphants aux défenses aiguisées de pointes en fer, au poitrail plastronné d’un disque d’airain, au dos chargé de tours pleines d’archers, et dont la trompe barbouillée de minium fauche avec le coutelas qu’y fixe un bracelet de cuir les têtes et les bras des combattants ! Avec quelle pesanteur formidable ils pivotent sur eux-mêmes dans la mêlée, étalant autour d’eux