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L’ORIENT.

à fait singulier. Le couvert enlevé, j’allai m’asseoir, ayant encore ma raison, sur le divan, où je m’arrangeai entre des carreaux de Maroc le plus commodément possible pour attendre l’extase. Au bout de quelques minutes, un engourdissement général m’envahit. Il me sembla que mon corps se dissolvait et devenait transparent. Je voyais très-nettement dans ma poitrine le hachich que j’avais mangé sous la forme d’une émeraude d’où s’échappaient des millions de petites étincelles ; les cils de mes yeux s’allongeaient indéfiniment, s’enroulant comme des fils d’or sur de petits rouets d’ivoire qui tournaient tout seuls avec une éblouissante rapidité. Autour de moi, c’étaient des ruissellements et des écroulements de pierreries de toutes couleurs, des arabesques, des ramages sans cesse renouvelés, que je ne saurais mieux comparer qu’aux jeux du kaleïdoscope ; je voyais encore mes camarades à certains instants, mais défigurés, moitié hommes, moitié plantes, avec des airs pensifs d’ibis debout sur une patte, d’autruche bat-