Page:Gautier - L’Orient, tome 2, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
L’ORIENT.

gantesques fleurs au calice de cristal, d’énormes passeroses, des lis d’or et d’argent montaient et s’épanouissaient autour de moi avec une crépitation pareille à celle des bouquets de feux d’artifices. Mon ouïe s’était prodigieusement développée ; j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé bas, vibraient et retentissaient en moi comme des roulements de tonnerre ; ma propre voix me semblait si forte que je n’osais parler, de peur de renverser les murailles ou de me faire éclater comme une bombe ; plus de cinq cents pendules me chantaient l’heure de leurs voix flûtées, cuivrées, argentines. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne. Je nageais dans un océan de sonorité où flottaient comme des îlots de lumière quelques motifs de la Lucia ou du Barbier. Jamais béatitude pareille ne m’inonda de ses effluves : j’étais si fondu dans le vague, si absent de moi-même, si débarrassé