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L’ORIENT.

— comme dans la folie on a des moments lucides. — Un troisième accès, le dernier et le plus bizarre, termina ma soirée orientale : — dans celui-ci ma vue se dédoubla. — Deux images se réfléchissaient sur ma rétine et produisaient une symétrie complète ; mais bientôt, la pâte magique tout à fait digérée agissant avec plus de force sur mon cerveau, je devins complètement fou pendant une heure. Tous les songes pantagruéliques me passèrent par la fantaisie : caprimulges, coquesigrues, oysons bridés, licornes, griffons, cochemares, toute la ménagerie des rêves monstrueux, trottait, sautillait, voletait, glapissait par la chambre ; c’étaient des trompes qui finissaient en feuillages, des mains qui s’ouvraient en nageoires de poisson, des êtres hétéroclites avec des pieds de fauteuil pour jambes, et des cadrans pour prunelles, des nez énormes qui dansaient la cachucha montés sur des pattes de poulet ; moi-même, je me figurais que j’étais le perroquet de la reine de Saba, maîtresse de défunt Salomon. Et j’imitais de mon mieux la voix et les cris